Dividendes du CAC 40 : la fin d’un cycle ?

Après une croissance quasi ininterrompue depuis la crise des subprimes, les dividendes versés en 2020 ont chuté cette année dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, après les records de 2019. Un simple coup d’arrêt ou le signe d’un mouvement plus durable ?

En cette période de taux bas, les valeurs de rende­ment constituaient une thématique d’investisse­ment à part entière. Pourquoi ? D’abord parce que le dividende, à condition d’être réinvesti, constitue l’un des deux moteurs essentiels de performance sur les marchés actions sur longue période. Ainsi, selon le gestionnaire de fonds AllianzGI, les divi­dendes ont contribué à hauteur d’environ 38% à la performance totale des actions européennes sur la période 1974-2019. C’est plus qu’en Amérique du Nord (29%) ou en Asie-Pacifique (32%). Ensuite, cela revient à privilégier des entreprises solides, dont la génération de cash régulière permet d’en redistribuer une partie sans obérer leurs capaci­tés de croissance ni déséquilibrer leur structure financière. Une forme de fly to quality (priorité aux titres de qualité) en somme. Avec un objectif double : bénéficier tout à la fois d’une forme de protection en période de stress sur les marchés et d’une perception de revenus récurrents, pour ne pas dire prévisibles.

 

APPELS À LAMODÉRATION 

Puis est arrivée la pandémie qui touche désormais  la Terre entière. Le Covid-19 ne s’est pas contenté de bouleverser nos vies, l’économie et les trajectoires de diminution des déficits publics des États. Les politiques de versement des dividendes 2020 des entreprises du CAC 40 ont, elles aussi, été bouleversées par l’épidémie du nouveau Coronavirus. De nombreuses sociétés ont décidé de réduire leur dividende distribué au titre de l’exercice 2019, ou d’en suspendre ou annuler le versement cette année pour préserver leur trésorerie et/ou appliquer les consignes gouvernementales. Par exemple, à l’échelle franco-française, le ministre de l’Économie Bruno le Maire a, au pic de la crise sanitaire, annoncé le 27 mars dernier une interdiction de fait (sans base légale) du versement des dividendes pour les entreprises réalisant plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires bénéficiant d’un report de paiement de charges sociales et fiscales et/ou d’un PGE (prêt garanti par l’Etat). Dans le cas contraire, les avances de trésorerie devront être remboursées – majorées de pénalités – et le béné­fice du PGE sera perdu. Pour les entreprises de plus petite taille ou pour les plus grandes ne sollicitant aucune aide de l’État, il a été demandé de modérer les distributions de dividendes. Un appel au sens des responsabilités qui a globalement été entendu par les dirigeants des quarante sociétés qui pèsent le plus lourd à la Bourse de Paris.

 

DIVIDENDES SUSPENDUS OU ANNULÉS

Les dividendes des entreprises du CAC 40 ont globalement baissé en 2020 dans le contexte de l’épidémie de Covid-19. On peut les classer en trois catégories. La première correspond à celles qui ont purement et simplement annulé ou sus­pendu leurs dividendes. On en compte 14 : Accor, Airbus Group, ArcelorMittal, Ates, BNP Paribas, Bouygues, Crédit Agricole SA, Engie, EssilorLuxottica, PSA Groupe, Renault, Safran, Saint-Gobain et Société Générale. Deuxième groupe : celui composé de sociétés ayant fait le choix de diminuer le montant de leur dividende par rapport à l’an dernier. Là encore, on compte 14 sociétés: LVMH, Capgemini, Vinci, Kering, Orange, STMicroelectronics, Axa, Veolia Environnement, Publicis, Michelin, Carrefour, Unibail-Rodamco-Westfield, Pernod Ricard et Thales.

« Les versements aux actionnaires des sociétés du CAC 40 ont culminé à 49,2 milliards d’euros en 2019 ».

Le troisième groupe correspond aux entreprises qui n’ont pas baissé leurs distributions par rapport à l’an dernier. Trois d’entre elles ont simplement stabilisé leur dividende : Hermès International, Legrand et L’Oréal. Finalement, on ne compte que 8 entreprises appartenant à l’indice (soit 20%) ayant maintenu une augmentation de leur dividende par action sur un an : Téléperformance (+26,3%), Vivendi (+20%), Schneider Electric (+8,5%), Danone (+8,2%), Dassault Systèmes (+7,7%), Total (+4,7%), Sanofi (+2,6%) et Air Liquide (+1,9%), sachant que Worldline, en passe d’absor­ber lngenico, ne distribue pas de dividendes. Ce coup de frein intervient après une phase de hausse sans précédent des divi­dendes. Tombés de 43 à 27,1 milliards d’euros entre 2007 et 2008, crise financière oblige, les versements aux actionnaires des sociétés du CAC 40 ont, sans compter les rachats d’actions, culminé à 49,2 milliards d’euros en 2019 avec un point de passage à 36,2 milliards d’euros en 2014 (source La Lettre Vernimmen).

La grande question est de savoir si ce coup d’ar­rêt est temporaire ou durable. Tout dépend de deux critères : la vitesse et l’ampleur de la reprise économique, d’une part ; l’évolution de l’épidémie, d’autre part. Sachant que certains secteurs, comme le tourisme, l’automobile et l’aéronautique, ont été plus affectés que d’autres. On pourrait y ajouter un troisième paramètre, la prise en compte des parties prenantes des grands groupes cotés : leurs salariés, fournisseurs et clients ont parfois été plus durement touchés par la crise qu’eux mêmes, les conduisant souvent à lancer des questions ou des fonds de solidarité en leur faveur. Qui sait si ces dispositifs, mis en place à la hâte et financés par les dividendes non versés et/ou les baisses de rémunérations des dirigeants, se seront pas pérennisés…

En attendant, voici quelques illustrations des poli­tiques de distribution en 2020.

 

TÉLÉPERFORMANCE EN TÊTE DES HAUSSES

Nouvel entrant dans le CAC 40 le 22 juin dernier en rem­placement de Sodexo, Téléperformance, leader mondial des centres d’appels, est l’entreprise appartenant à l’indice dont le dividende par action a le plus cru, de 1,90 à 2,40 euros, en progression de 26,3% par rapport à l’exercice précé­dent. Cette augmentation traduit la solidité des performances du groupe en 2019 connu pour sa politique de gratification des actionnaires, Air Liquide n’a pas dérogé à sa ligne de conduite: le mon­tant du dividende a augmenté de 12,4% par rapport à l’année précédente, en tenant compte de l’attribution d’actions gratuites intervenue en octobre 2019. Le dividende par action a quant à lui augmenté de 2,1%, à 2,70 euros, ce qui représente un taux de distribu­tion du résultat net (ou payout) supérieur à 50%.

La banque centrale européenne a appelé au gel des dividendes en 2020.

Toujours au chapitre des hausses, le dividende annuel de l’action Total proposé par le conseil d’ad ministration et voté par les actionnaires lors de la dernière assemblée générale, a atteint 2,68 euros au titre de l’exercice 2019, inchangé par rapport au montant initialement prévu et en augmentation de 4,7% par rapport à l’exercice précédent. Cela cor­respond au paiement d’un solde de 0,68 euro par action en numéraire le 16 juillet 2020 pour les ac­tionnaires n’ayant pas choisi l’option du paiement en titres à 28,80 euros par action, soit 663 millions d’euros. En revanche, le conseil d’administration du groupe pétrolier a suspendu son objectif de crois­sance annuelle de 5% du dividende annoncée en septembre 2019. Ce qui revient à limiter le montant du prochain acompte sur dividende à 0,66 euro par action.

 

SUSPENSION DU DIVIDENDE DES VALEURS BANCAIRES

À l’opposé, le secteur bancaire a été contraint par son superviseur de ne faire preuve d’aucune générosité vis-à-vis des actionnaires. Le 27 mars dernier, la Banque centrale européenne (BCE) a émis une re­commandation visant à circonscrire les politiques de distribution de dividendes pendant la pandémie de Covid-19. La BCE a, en effet, recommandé qu’aucun dividende ne soit distribué par les établissements de crédit « au moins jusqu’au 1er octobre 2020 » au titre des exercices 2019 et 2020, dans l’attente d’y voir plus clair sur l’ampleur de la crise. « distribution de réserve se substituant au dividende», après le 1er octobre. Ce versement demeure soumis à l’évaluation de la situation économique qui sera faite par la BCE à ce moment-là. La situation est ana­logue pour la Société Générale, qui avait mis de côté une provision pour payer le dividende de 2,20 euros par action, ou pour le Crédit Agricole.

 

Article issu du Mag 3AO n°58 d’aout 2020