Marchés financiers : l’été de tous les dangers ?

Les marchés financiers ont repris plus de la moitié de la baisse historique de fin février-dé­ but mars. Réponse aux stimuli des banques centrales ? Envie d’espérer une reprise en V ? Comment analyser le phénomène ? Comment la crainte d’une seconde vague épidémique s’exprime-t-elle? Le point sur le trimestre écoulé et les perspectives sur les marchés actions.

Rebond prématuré ou anticipation logique ? Tous les indices boursiers français et la plupart des grands indices mondiaux ont terminé le deuxième trimestre dans le vert, dans le sillage du rebond technique de la fin du mois de mars. Après la chute vertigineuse du premier trimestre, le mouvement de « rallye boursier » (tendance haussière, NDLR), presque aussi spectaculaire que l’écroulement qui a précédé a permis au marché français d’effacer plus de la moitié de sa baisse. Les 150.000 nou­veaux actionnaires individuels entrés au creux de la vague se sont manifestement positionnés au bon moment.

 

NOUVEAUX RECORDS POUR LE NASDAQ

« Le mois d’avril a connu une respiration technique dont le marché est sorti le 15 mai, juste avant la présentation conjointe par Emmanuel Macron et Angela Merkel du plan de relance européen de 750 milliards d’euros le 18 mai, par une nouvelle vague de hausse jusqu’au 8 juin », constate Alexandre Baradez, responsable des analyses marchés chez IG France. Il en ressort une impression de désynchro­nisation marquée entre marchés et conjoncture économique, plus particulièrement aux États-Unis et en Allemagne où la relance budgétaire est plus importante qu’ailleurs en occident. « Le S&P 500 est revenu début juin à moins de 6% de son som­met historique et se paie 22 fois les bénéfices, le Nasdaq a touché de nouveaux records et se paie 32 fois les bénéfices, le DAX s’est rapproché à 7% de son plus haut historique », poursuit Alexandre Baradez.

Ce mouvement haussier a fini par s’essouffler. Partagés entre le soutien presque sans limite des grandes banques centrales, les plans de relance budgétaire et l’envie de tourner la page de la crise sanitaire d’un côté, la crainte d’une épidémie hors de contrôle et d’une reprise économique longue à se dessiner de l’autre, les marchés évo­luent de façon plus hésitante depuis le 8 juin. Globalement, depuis le début de l’année, deux secteurs surnagent: les valeurs technologiques et la santé ou, plus généralement, la plupart des titres d’entreprises tirant profit d’une façon ou d’une autre du Covid-19 tiennent le choc avec une évolution favorable de leur cours de Bourse.

 

INCERTITUDES MARQUÉES

L’un des aspects les plus frappants de cette crise est l’absence de visibilité qu’elle manifeste, du fait de son caractère inédit dans un monde moderne mondialisé, interconnecté. L’économie va-t-elle repartir de l’avant ou subir un nouveau coup de frein ? Le consommateur va-t-il conti­nuer à épargner plutôt que dépenser et pendant combien de temps ? « Une reprise économique en V est totalement exclue, il est en revanche difficile de déterminer quelle sera la forme de la courbe de la reprise, remarque Christopher Dembik, responsable de la recherche macro-éco­nomique chez Saxo Bank. En analysant l’impact des précédentes pandémies, on s’aperçoit que les séquelles économiques sont perceptibles sur une très longue période, jusqu’à 40 ans dans cer­tains domaines. Et les premiers signaux venant de Chine, épicentre de la crise sanitaire et pre­mière grande économie déconfinée, vont dans le sens d’un choc profond et de longue durée ».

L’incertitude est telle que les prévisions de crois­sance du PIB font un grand écart jamais constaté.

« Sur plus de 70 prévisions disponibles pour la Chine pour 2020, les évolutions de -3,5% à +3%, c’est du jamais vu et c’est également le cas, dans des proportions plus ou moins importantes, pour la plupart des économies mondiales», ob­ serve Christopher Dembik. Au mieux, un retour du niveau d’activité quitté en 2019 serait atteint dans le courant de l’année 2022.

« Nous assistons à un choc économique jamais vu en période de paix, atteste Louis Albert, directeur général de la société de gestion IDAM. Personne ne sait comment l’économie va se reprendre et s’il y aura une seconde vague épidémique. Les marchés ont rebondi lorsque la visibilité s’est un peu améliorée à court terme sur le front sanitaire, au moment où les courbes d’hospitalisation ont arrêté de s’aggra­ver en Europe. Aujourd’hui, nous sommes à un point d’équilibre, maintenu par l’afflux de liqui­dités issu des politiques monétaires non conven­tionnelles des banques centrales ».

 

VOLATILITÉ EN VUE

La période semble propice à des évolutions erra­ tiques des cours, en attendant d’y voir plus clair sur la vigueur de la reprise. Est-ce qu’on peut corriger en­ core quelques temps? Plusieurs arguments plaident pour une phase de mouvements assez débridés, es­ time Alexandre Baradez. Un raisonnement optimiste voudrait que les troisième et quatrième trimestres marquent une première étape de la reprise mais l’évolution de la conjoncture dans les services et de la courbe du chômage aux États-Unis incitent à la pru­dence, à la lumière des demandes d’allocations hebdomadaires. Il ne serait pas choquant que le CAC 40 retombe entre dans zone de consolidation entre 4.200 et 4.600 points ou, plus précisément, entre 4.400 et 4.500 points, soit une baisse de 10 à 15% ». D’autant que de nouvelles tensions commerciales sine-améri­caines contribueraient à peser sur les cours.

Dans quelle mesure les publications trimestrielles ou semestrielles de cet été vont jouer sur la tendance? Les résultats du deuxième trimestre auront peu de prise, sauf très mauvaise nouvelle, alors que les prévisions de bénéfices nets par action sur l’indice S&P 500 ressortent à -43% par rapport au deuxième trimestre 2019. Les investisseurs auront le regard davantage rivé sur les perspectives, avides du moindre signal positif à l’échelle d’une valeur, d’un secteur ou plus globalement.

« Le marché sera moins attentif à l’annonce de l’am­ pleur des dégâts qu’aux messages pour la suite, ana­ lyse Louis Albert. Est-ce que le business a repris ? Dans quelle mesure ? Faut-il attendre septembre, la fin de l’année ou le premier semestre 2021 ? La communication des émetteurs sur leurs perspectives sera scrutée de près. Les marchés sont prêts à accepter une baisse significative des bénéfices grâce aux politiques monétaires, mais ils ont besoin de retrouver de la croissance, de voir des semestres qui s’améliorent les uns après les autres. La question est de savoir quand nous re­ trouverons le niveau d’activité de décembre 2019 ».

Cela dit, en cas de test de la zone des 4.500 points, de nouvelles opportunités pourraient se faire jour sur un horizon de détention à moyen terme, d’au­ tant qu’à l’approche des élections américaines, Donald Trump pourrait être enclin à déclencher un nouveau plan d’aide aux ménages et aux petites entreprises de plus de 1.000 milliards de dollars, pour favoriser un rebond des marchés, et sa réé­ lection le 3 novembre prochain.

 

REPRISE DES FUSIONS-ACQUISITIONS

Autre moteur potentiel plus structurel, la reprise des fusions-acquisitions (M&A, acronyme de mer­ger & acquisitions). « L’activité du M&A est un fac­teur de soutien du marché, expose David Lenfant, associé fondateur de Laffitte CapitaI Management. En effet, à l’annonce d’une offre d’achat, l’acheteur paie en moyenne une prime de 20% par rapport au dernier cours de la cible, afin de motiver les action­naires à apporter leurs titres».
Or, les fonds de Private Equity (non coté) aux États­ Unis disposent de 1.700 milliards de dollars de cash prêts à être investis. « Depuis quelques années, les sociétés non cotées affichent des multiples de valo­risation plus élevés que les sociétés cotées, rappelle David Lenfant. Ces fonds ont tout intérêt à acquérir des entreprises moins chères, lisibles du fait de leur cotation pour les retirer de la cote. Ils peuvent de surcroit refinancer leurs deals dans des conditions exceptionnelles, dans le contexte de taux bas ».

Autre source de transactions, les opérations indus­trielles, qu’elles soient offensives pour capter des parts de marché, défensives pour des entreprises ap­partenant à des secteurs particulièrement mal menés par la crise (industrie, automobile, secteur financier), ou lancées à la faveur d’une pression du politique en faveur des rapprochements transfrontaliers, notam­ment en Europe.« Il y aura des disparités importantes d’un secteur à un autre, confirme David Lenfant. On peut noter que les secteurs les plus actifs depuis quelques années sont la santé et la tech. Ce n’est pas un hasard si ce sont ceux qui ont le mieux résisté en Bourse depuis le début de l’année ».

 

Article issu du Mag 3AO n°57 de juillet 2020