Retraite : la réforme entre dans le dur

Deux projets de loi réformant le système français de retraites ont été présentés en Conseil des ministres. Voilà ce qu’il faut en retenir avant leur examen au Parlement.

Finalement, ce n’est pas un, mais deux textes qui vont réformer les retraites. Le gouvernement a présenté au Conseil des ministres du 24 jan­vier 2020 un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire instaurant, comme promis par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle, un système universel de retraites.
Si le premier est succinct (5 articles) et touche à l’organisa­tion des régimes de retraite dans le cadre du futur système (voir encadré), le second est nettement plus étoffé (65 articles) et entre dans le concret de la réforme. Voici les dispositions les plus importantes du projet de loi ordinaire, sa­ chant qu’elles sont susceptibles d’être modifiées à l’occasion des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Le système universel va se substituer, à terme, aux 42 régimes de retraite.

L’ENSEMBLE DES ACTIFS CONCERNÉS

Les nouvelles règles (assiettes de cotisation, taux de cotisation, âges de départ, calcul des pensions…) vont s’appli­quer à l’ensemble des assurés, quel que soit leur statut professionnel (salarié, fonctionnaire, indépendant). Le sys­tème universel va se substituer, à terme, aux 42 régimes de retraite (de base et complémentaire).

 

UN SYSTÈME EN POINTS

Le système universel fonctionnera en points. Chaque heure travaillée permettra d’acquérir des points, selon la valeur d’achat du point déterminée par le conseil d’administration de la future Caisse nationale de retraite universelle (CNRU). Au moment du départ à la retraite, le montant annuel de la pension corres­pondra au nombre cumulé des points acquis tout au long de sa carrière multiplié par la valeur de service du point, également fixée par la CNRU.
Des points seront octroyés au titre :

  • du congé de maternité sur la base du revenu de l’année précédente
  • du congé de maladie à partir du 30ème jour d’ar­rêt sur la base du revenu de l’année précédente
  • des périodes d’invalidité sur la base du reve­nu correspondant aux 10 meilleures années d’activité
  • des périodes de chômage indemnisé sur la base des allocations versées par Pôle emploi

 

DES COTISATIONS CONTRIBUTIVES ET NON CONTRIBUTIVES

Le niveau des cotisations vieillesse sera fixé à 28,12% (le niveau actuel des salariés du privé). Comme au­jourd’hui, il sera pris en charge à 60% par les em­ployeurs et à 40% par les salariés, salariés agricoles, fonctionnaires et affiliés aux régimes spéciaux(SNCF, RATP…).

Ce niveau sera lui-même composé de deux as­siettes de cotisation :

  • une cotisation de 25,31% (90% des 28,12%) ap­pliquée dans la limite de trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), soit environ 120.000 euros, qui permettra d’acquérir des points ;
  • une cotisation de 2,81 % (10% des 28,12%), ap­pliquée sur la totalité de la rémunération, non génératrice de droits, et destinée à financer les dispositifs de solidarité, comme le minimum de pension (voir plus loin).

Les travailleurs indépendants et les professions libé­rales sont voués à cotiser, à terme, au même niveau que les autres assurés. Pour éviter une hausse bru­tale de charges alors que leur niveau de cotisations vieillesse se situe actuellement autour de 15%, ils bénéficieront, dans un premier temps, de deux taux de cotisations contributives :

  • une cotisation de 25,31% appliquée dans la limite d’un PASS (jusqu’à environ 40.000 euros)
  • une cotisation de 10,12% (40% des 25,41%) appli­quée entre un et trois PASS (de 40.000 à 120.000 euros)

Il faut ajouter à ces deux cotisations plafonnées et contributives, la cotisation de solidarité de 2,81% ap­pliquée, elle, sur toute la rémunération. Soit un niveau global de 28,12% à un PASS et de 12,94% entre un et trois PASS.

 

UN ÂGE D’ÉQUILIBRE POUR LES ASSURÉS NÉS À PARTIR DE 1975

Un âge d’équilibre sera instauré pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1975 qui liquideront leurs droits à partir du 1er janvier 2037. Cette borne d’âge, destinée à assurer l’équilibre financier du système, équivaudra à l’âge moyen de départ à la retraite des salariés du privé (hors retraites anticipées) en 2037, soit vraisemblablement 65 ans.

Si l’assuré prend sa retraite avant l’âge d’équilibre, sa pension sera minorée. S’il part après, elle sera majo­rée. Le conseil d’administration de la CNRU décidera de son évolution en tenant compte des projections fi­nancières du système. À défaut, l’âge d’équilibre évo­luera à raison des deux tiers des gains d’espérance de vie à la retraite constatés.

 

UN MINIMUM DE PENSION

Les assurés qui partiront à l’âge d’équilibre en ayant cotisé au moins 43 ans seront assurés de percevoir une pension équivalente à 85% du Smic. Ce minimum de retraite entrera en vigueur dès 2022 pour les as­surés disposant de tous leurs trimestres. Il s’élèvera à 1.000 euros nets, puis à 83% du Smic net en 2023, 84% du Smic net en 2024 pour atteindre 85% du Smic net en 2025.

 

LES RETRAITES INDEX ES SUR L’INFLATION

Les pensions seront revalorisées chaque année en fonction de l’évolution des prix à la consommation (hors tabac). Le conseil d’administration de la CNRU pourra, toutefois prévoir, une autre indexation dans le respect de la trajectoire financière sur 5 ans du système universel. Si le taux décidé est inférieur à l’in­flation, il devra être validé par le Parlement. Dans tous les cas, le niveau des retraites sera garanti : le montant des pensions ne pourra pas baisser.

 

DES BONUS DÈS LE PREMIER ENFANT

Un bonus de retraite de 5% sera attribué aux pa­rents(2,5% chacun) par enfant et ce, dès le premier. Les majorations familiales sont aujourd’hui de 10%, mais sont versées uniquement à partir du troisième enfant. Une majoration supplémentaire de 1% sera oc­troyée au père et à la mère au troisième enfant. D’un commun accord, elle pourra être cumulée (2%) et être servie à l’un des deux parents.

 

UN CUMUL EMPLOI-RETRAITE PLUS AVANTAGEUX

Comme avant 2015, les cotisations vieillesse versées dans le cadre d’une activité exercée à la retraite per­mettront au retraité de s’ouvrir des droits et donc de se constituer à terme une pension supplémentaire. Pour bénéficier de ce cumul emploi-retraite géné­rateur de droits, il faudra partir à compter de l’âge d’équilibre. Le dispositif sera mis en place dès 2022 pour les assurés qui partent à la retraite en justifiant de tous leurs trimestres ou à l’âge d’annulation de la décote fixé à 67 ans.

 

UNE RÉVERSION TOTALEMENT RÉFORMÉE

La pension de réversion versée au veuf ou à la veuve ne correspondra plus à une fraction de la retraite du défunt ou de la défunte, mais à un complément de retraite octroyé au conjoint survivant afin que celui-ci dispose de l’équivalent de 70% des revenus du couple. Ce complément sera attribué à partir de 55 ans et sans condition de ressources.

En revanche, il sera octroyé sous condition de durée de mariage (à définir) et de non-remariage. Les conjoints divorcés et non remariés n’auront droit à rien, contrai­rement à aujourd’hui. Ce nouveau dispositif n’entrera en vigueur qu’en 2037.

 

Pourquoi un projet de loi organique

En France, une loi organique est une loi complé­tant la Constitution, en vue de préciser l’organisa­tion des pouvoirs publics. Dans la hiérarchie des normes, elle est placée en dessous de la Loi fon­damentale, mais au-dessus des lois ordinaires. S’il suffit d’une majorité relative (le plus de voix l’em­ porte) à l’Assemblée nationale pour adopter une loi ordinaire, une loi organique nécessite la majorité absolue (au moins 289 députés « pour »). L’accord du Sénat est impératif dès lors que le texte concerne la Chambre haute. L’aval du Conseil constitutionnel est également obligatoire.

Deux points ont poussé le gouvernement à pré­senter un projet de loi organique dans le cadre de la réforme des retraites. Premièrement, le pé­rimètre des lois de financement de la Sécurité sociale va être étendu aux régimes de retraite com­plémentaire, alors qu’il se limite aujourd’hui aux régimes de base. Deuxièmement, les députés et les sénateurs vont être soumis aux mêmes règles que les autres assurés dans le système universel. Or, au nom de la séparation des pouvoirs, seuls les bu­reaux des deux chambres peuvent à l’heure actuelle modifier leurs régimes de retraite respectifs.

Article issu du Mag 3AO n°51 de janvier 2020